Il flotte dans l’air du temps du 19e siècle comme une soif d’invention. La Manufacture de Sèvres ne fera pas exception. Sous l’impulsion d’Alexandre Brongniart, une période d’innovation très intense s’ouvre pour la Manufacture. Autour des années 1850, les artisans de Sèvres donnent naissance à l’une des plus grandes réussites techniques du siècle : la pâte-sur-pâte.
Un contexte propice
Durant la première moitié du 19e siècle, le milieu des porcelainiers français est en ébullition. Au pic de leur production et toujours en recherche de techniques de plus en plus innovantes pour se démarquer, plusieurs fabriques cherchent à mettre au point des bas-reliefs en porcelaine.
Plusieurs sources d’inspiration sont imaginables pour ces porcelainiers. Les camés antiques, dont l’esthétique est très à la mode à cette période, ou encore, pour Sèvres, l’ouverture en 1846 d’un atelier d’émaillage sur cuivre (donnant des effets relativement similaires mais plus opaques et moins subtils). Mais l’on sait qu’une des principales influences est la porcelaine chinoise.
Plusieurs pièces, dont au moins une faisait partie des collections du Musée de Sèvres, sont ornées de décors utilisant un procédé similaire, développé depuis longtemps dans l’art chinois.
En 1839, c’est en s’inspirant de ces vases chinois - et d’un brevet déposé par Dodé et Frin en 1820 traitant de « moyens de faire des bas-reliefs en porcelaine » - que le porcelainier Discry réalise deux vases. Ceux-ci, offerts à la Manufacture de Sèvres ont pu contribuer à la naissance de la pâte-sur-pâte dans ses ateliers.
La pâte-sur-pâte et Sèvres, un demi-siècle de succès.
En 1849, c’est le premier conservateur du Musée Céramique et Vitrique (l’ancien nom du Musée national de céramique) Denis-Désiré Riocreux qui aurait donné l’impulsion, convainquant le tout nouveau directeur de la Manufacture Jacques Joseph Ebelmen de lancer des recherches en ce sens.
Louis Robert, chef des ateliers de peinture, et Joseph Vital Roux, chef des fours et pâtes, s’attellent à la tâche. Dès 1849 un premier essai prometteur sort des fours : un sucrier réalisé par Didier François Charles Fichbag. Cet artisan, à la fois repareur* et peintre durant sa carrière à Sèvres, était tout désigné pour cette expérimentation entre sculpture et peinture.
Ce sucrier est suivi de près en 1850 par la première œuvre véritablement aboutie : le vase Ly d’Ambroise Choiselat.
Le résultat est exposé une première fois dès 1850, mais l’explosion de la technique a lieu lors de l’exposition universelle de Londres en 1851. Les œuvres plaisent tellement qu’en quelques années à peine, toutes les fabriques françaises et bientôt toutes celles d’Europe se mettent à copier Sèvres. Démarre alors un demi-siècle de succès pour la pâte-sur-pâte. De grandes figures ayant travaillé à Sèvres comme Solon, Carrier Belleuse et même Rodin la pratiquent avec bonheur.
C’est l’arrivée en 1897 d’Alexandre Sandier à la direction des travaux d’art de la Manufacture qui sonne le glas de la technique. Il met alors de côté ce type de décors, les trouvant bien trop fastidieux et lents pour des ateliers qui tournent à plein régime. Cependant, on trouve encore quelques rares exemples de pâte-sur-pâte jusqu’au début des années 1930.
L’invitation de Yang Jiechang à Sèvres finit de convaincre la Manufacture de l’intérêt de remettre en pratique la technique de la pâte-sur -pâte et donc de former à nouveau les artisans à ce procédé qui valorise les savoir-faire de Sèvres.
*Le repareur reprend les différents détails de sa sculpture pour les réaffirmer ou les sculpte à main levée.
Quelques chefs d’œuvres de la pâte-sur-pâte
Vase Clodion, 1867
Ce chef d’œuvre a été réalisé par l’artiste incontournable de la pâte-sur-pâte : Marc Solon. Il s’agit d’un des derniers qu’il conçoit avant son départ pour l’Angleterre en 1870, où il rejoint la Manufacture de Minton. Là-bas il développera encore cette technique acquise dans les ateliers de Sèvres. Sur un vase à la forme inspirée du 18e siècle, l’artiste dépeint un combat de putti, flanqué de femmes vêtues de voiles. Un thème cher à Solon qui travaille tout particulièrement les effets de transparences.
Le vase de la Manufacture, 1877
Conçu par Jean-Denis Larue à l’occasion de l’inauguration de la Manufacture telle qu’elle est aujourd’hui, il s’agit à la fois d’un des exemples les plus virtuoses et les plus amusants qu’a permis la pâte-sur-pâte. Il est fabriqué à l’aide d’une pâte changeante ou caméléon (qui change de couleur selon la lumière comme Le vase des éléments), et représente les différents ateliers de Sèvres. On peut même les admirer sans efforts puisque le vase tourne sur sa base. De loin, ce vase a une apparence typique de l’art officiel. Mais si l’on y regarde de plus près, les artisans ont étés représentés en putti donc… tout nus !
Vase de Ruhlmann, début des années 30
Ce vase dont la forme est dessinée par Jacques-Emile Ruhlman est l’une des toute dernières pièces répertoriées en pâte-sur-pâte et réalisée à la Manufacture de Sèvres. Décoré par Anne-Marie Fontaine, une des peintres les plus confirmées et importantes de son temps, elle réinvente la technique et tente de la réhabiliter. Au lieu du traditionnel décor blanc sur fond coloré, elle prend le parti de réaliser un décor coloré sur une pâte blanche. Le vase est dans un style art déco caractéristique de sa période orné de grands feuillages et d’oiseaux.