Dans le sillage de ces formes pleines, à la fois surface et volume qui caractérisent ses productions les plus récentes, Emmanuel Boos a réalisé pour Sèvres plusieurs séries de monolithes en porcelaine.
Initialement moulés, ces grands rectangles ont été ensuite déformés individuellement par l’artiste qui recherche le point d’équilibre précaire des formes au bord de leur écroulement. Ce faisant, il crée aussi un parcours pour l’émail, en creux et à-pics sur lesquels les émaux pourront déployer toutes les nuances de leurs tonalités en s’accumulant par endroit et en disparaissant presque à d’autres. Crucialement, l’artiste est à l’affût de l’inattendu et d’accidents heureux : il accepte mais surtout valorise l’imprévu et l’imparfait.
Le placement de ces monolithes dans l’espace peut être variable : ils peuvent être posés sur un plan, suspendus au mur sur leur plus grand ou leur plus petit côté ou exposés de face sur un support mural tel un tableau. Ce placement est au choix du regardant.
L’artiste aime l’émail céramique : ce revêtement vitreux qui couvre le corps – le tesson – d’une céramique. Si le néophyte compare souvent l’émail avec une sorte de peinture ou de couleur céramique, pour Emmanuel Boos l’émail est bien plus que cela : c’est une matière et un espace poétique à la fois.
L’émail est d’abord une poudre que l’artiste compose et crée à partir de minéraux pour l’apposer en aveugle, c’est à dire sans pouvoir vraiment présager (en tout cas pas comme un dessin) du résultat final qui est une matière toujours nouvelle. Ce faisant, Emmanuel Boos explore les matériaux et les phénomènes physiques et chimiques à l’oeuvre dans le processus céramique. Cette exploration de la matière est l’objet de son propos artistique mais sa démarche n’est pas celle d’un scientifique. Boos est plutôt un amoureux : c’est l’intimité avec son medium qui lui permet d’établir avec lui une relation de curiosité enjouée. Boos n’est pas le potier jaloux que décrivait Claude Lévi-Strauss : il ne cherche pas à dominer ou à contrôler mais plutôt à entretenir une relation ludique et amicale avec le chaos. Ses oeuvres permettent, voire provoquent le hasard au risque même de l’accident. C’est souvent dans l’inattendu et l’aléatoire que l’artiste observe la dimension poétique de la matière qui justifie son obsession : coulures, affaissement, changements de couleurs ou de texture mais aussi fentes et craquelures de l’émail et du tesson.
Depuis quelques années, il privilégie les formes closes, faussement pleines : pavés, cubes, boîtes ou livres, elles sont mystérieuses et abstraites. Comme des blocs de pur émail, elles évoquent un monde minéral où la physionomie serait le reflet de la densité. Cet intérêt pour la surface céramique l’a amené à soulever la question de la profondeur de l’émail et à interroger sa proximité et surtout sa spécificité vis-à-vis de la peinture. Aussi, ses céramiques conservent-elles une ambigüité revendiquée : elles sont à la fois surface et volume. Même murales, elles demeurent sculpturales. Ses oeuvres appellent une forme de contemplation esthétique, sensible, sensuelle et émotionnelle de la matière céramique.